Catégories
Créations Cécile VernadatClaire Fasulo

Et au loin l’horizon ?

Cécile Vernadat

Claire Fasulo

60 secondes

Tu viens ?
Je sais pas… 
Pourquoi ?
J’sais pas, j’aime pas rentrer tard, 
c’est loin, y aura qui ? Ouais, j’sais pas, 
c’est chiant pour rentrer pis je me lève tôt demain.

Tu viens ?
Non 
Pourquoi ?
J’peux pas, j’ai piscine

Tu viens ?
C’est vegan ? 

Tu viens ?
Non 
Pourquoi ?
J’ai pas eu l’invitation
C’est con
Ouais je sais

Tu viens ? 
Il a pas voulu
J’ai pas les moyens
C’est couvre feu 
Je dois garder les enfants
Elle a pas voulu
J’ai pas le temps
Pas les bons papiers
J’me sens pas très bien 
Je dois garder le chien 
C’est moche
Je sais

Tu viens ?
Non, c’est réservé à ceux qui sont 
nés l’année du chien, avec un antécédent autruche 
dans la constellation du chat  perché.

Tu viens ?
Je peux pas 
Ils ont coupé les routes, arrêté 
les trains, noyé les bateaux, figé
les avions. 
Ils veulent pas. 
Ils ont muré les fenêtres et bâillonné 
les téléphones, j’peux pas. 
Ils veulent pas.

T’es sûr ?
On n’entend plus les oiseaux, 
y a plus de marées,
le ciel est tombé et la lune penche.
Je peux pas.

Tu viens ? 
Je sais pas.
Tu veux qu’on se retrouve à mi-chemin ? 
On y va ensemble.


Lundi matin

Lundi matin, à mon corps défendant, Marée montante, 
je 

Cloche
couloirs de faïence, couloirs de suie
je

Cloche       
en strapontin,
à califourchon
imbibé pour le moins 
de songes chiffons
on avance, 
abattu par l’horaire 
qui nous dicte sa mission.
Une casquette, un costard, 
baskets roses, 
trémolo, un regard
se cognent en ricochets 
dans l’étroitesse du paysage.
attends !

Cloche
cherche les ombres, 
compte les taches 
passe trop vite le ciel, en dessous 
le fleuve
faces blasées, 
faces poudrées,
faces penchées
s’amoncellent nos figures en paquet
et nos dos se répondent
tortueuse procession
désarroi tout du long.
pas le choix sur l’horaire, 
maitre de papier crépon
qui nous tient, accélère
Et au loin l’horizon ?

rivage de papier 
bouilli-flétri
nouvelle escale, 
sous les néons

Cloche
ici on sue
regards tendus, 
couleurs criardes
les anges nous accostent 
le long du gouffre, majuscules
nous regardent
avance !
se disent
bouge !
et : passe, droite, gauche, 
enlevée, acérée
cadence en flots rythmés
la sourde oreille 
graisse nos oreillers
on nous vend soupe, 
noyaux pourris
n’en déplaise, on poursuit
bondit
à pieds joints
poings liés à nos ainés.
Rien ne luit mieux dans la boue
que nos genoux écartelés.

Cloche, 
dans la mêlée, 
je

ici l’homme crache
l’aveugle hésite
la femme porte
l’enfant joue
le pauvre aussi
les murs suintent
les mots choisis
hantent
mangent les plis 
de nos envies, 
repu, 
on marchande les yeux 
baissés 
selon les lois en vigueur 
patentées par nos ainés 
on agrège, attise
se goinfre
d’une nudité 
par trop éclairée
ça ajoute du pedigree.
et le silence bruisse.

Incurve-t-il la route 
de nos songes emportés ?

Cloche
en bout de quai
califourchon maladroit
présence hagarde 
syncopée
en rupture de mégots, 
démunie
présence sourde 
en travers, 
révulsée
crasse poisseuse, 
à qui ne reste 
que le long et lent reflux 
de la chair
consent, modeste 
à sa part du refrain
chaloupé, 
du bout des doigts, 
en creux, va et vient
relance par un soupir.
las, 
crissent
cordes vocales 
tendues dans la mêlée.
crampe
tympans ineptes,
gorges muettes.

et le défilé se poursuit. 

enrager les affairés
à la rive amassés, 
leurs souvenirs de loups
affamés mais instruits, 
garantissent la plèbe
– de loin en loin comme on 
commence un chagrin –
que demain sera meilleur 
démultiplier les demandes
garantir l’offre aux naufragés.

marée, cloche 
tard nuit bruit
je


Tu veux un poème

Tu veux un poème ? 
Et je m’agrandis.
Tu veux un poème. 
Contresens. A temps, 
on ne m’a rien dit.
Je veux un poème pour 
regarder la nuit, 
agrandir les jours, 
un poème.
Pour m’advenir dans l’enclave 
de tes mots, l’entrave de tes 
lèvres, l’accent de tes reins. 

Tu veux un poème. 
Pour qui tu l’écris ?

Un poème :
Etreins, éteins, chancelle, 
incurve, détourne, contourne 
et

Mais le long de la route 
nos phalanges s’estompent.
Ça commence à gronder.
Nos cris s’accumulent 
–  dents qui carillonnent – 
en triste marée noire.

Ah crasse creuse grise
Attrape agrafe ce con
Le mien et pas un autre 
prêté pour tes ablutions
– perdu 
pour mon absolution –
Non pas la peine de me 
biaiser, je suis morte déjà
trois fois.

Parenthèse malsaine 
de me regarder en toi
Dans ce corps fétide et crasse, 
de me sentir en toi-même 
quand tu n’y es pas.
Je m’abstiens, 
n’obtiens rien.

Tu me retiens et partiras.
Une fois finie ma corvée, 
une fois bu le suc de mon 
intégrité, tu pourras vaquer, 
sans regret, 
inconscient de ce que tu m’as 
malmenée.
Te réfugier où tu veux 
tant que tu veux, 
je n’y suis pas.

Tu m’enlèves ce qui me reste 
de moi-même à chacun de tes 
passages, par l’esprit t’infiltres
Travailles ma chair 
et mes soupçons
M’infidèlise à ce que je 
contiens en germe de joie 
en doutes craintes espoirs 
attentes chagrins 
Devenirs et souvenirs

Et jamais ne me défais 
de la loi du genre.

Je. Veux un poème.

JE SUIS LA PLUIE
JE SUIS LE VENT
UNE LAME D’ACIER 
ENTRE LES DENTS
REFUSE LES COURANTS
JE SUIS L’AIR 
ENTRE VOS DOIGTS
À LA LUMIÈRE DE LA 
NUIT
ON JOUERA
QUI, 
OSCILLE,
NOUS JOUERONS 
LE PENDULE
FRÔLER
On n’aura pas de joyaux, 
on n’aura pas  
de couronne
FRÉMIR
On n’aura que nos mains, 
nos pognes
Et ta tronche au plafond
Fléchette
JE SUIS LA LIONNE 
À LA DENT CARRÉE
Ma gourmandise pour horizon 
de ne pas vouloir vous céder
Once ou gramme, comptez 
comme vous voulez.
Ce terrain est le mien, seule 
propriété qui devrait compter : 
TU ES LA LOUVE AU NEZ 
DE BIAIS, LE CERF AU 
BOIS FLOTTÉ, TU ES LE 
CRABE AUX MAINS 
TROUÉES, 
LA SALAMANDRE 
AUX YEUX PLISSÉS, 
LE LIONCEAU AU 
NEZ BOUCHÉ,
Trêve pour nos arpents 
éreintés de sables crochus, 
pourrions-nous


Soudain

Soudain nous nous levons et nous courrons.
Sans réfléchir, sans raison, courir. Partout dans la ville, dans chaque rue, tout le monde court. A perdre haleine, vite, fort. 
Ça jaillit, ça cavale.
Partout les vélos, charriots de courses, les poussettes, les sacs gisent – non pas les poussettes, y a des enfants dedans, 
les femmes ont couru avec les poussettes, les hommes aussi – partout les trottinettes, les ballons, les cartables sont restés plantés là tandis qu’on s’est mis à courir, voitures béantes, portes ouvertes.
On pilote les fauteuils roulants, les déambulateurs au maximum, on embarque un caddie qui se transforme en vaisseau, on tire, on pousse, ça tournoie.

Ça bat les tempes, ça bondit dans la poitrine.
Ça sue, ça colle sous les aisselles, ca poisse dans le cou et le bas du dos.
Ça enfle, ça carillonne. 

Parfois ça s’arrête, 
genoux pliés, penché vers l’avant on reprend son souffle, visages rougis, petit à petit on se redresse. Autour de soi dans les rues, on se regarde, on se sourit.
Et ça repart.
Ça bondit, ça sillonne, slalome pour éviter un autre coureur à un croisement, hop demi tour, pile et tourne à gauche, revire cette rue là je ne la connais pas, là bas ça rit, j’y vais aussi.
On avale le bitume à grandes goulées, se déverse dans chaque venelle sans distinction. 
C’était pourtant un jour ordinaire et voilà que maintenant on se perd, on s’égare, on court. Les noms de rue s’effacent, on caracole, ça surgit, hirsute. 
C’est là, c’est maintenant.
Même Mr et Mme Fonlamine, pourtant pas très enclins à la nouveauté dirons-nous, sont descendus dans la rue.
Et les oiseaux nous on rejoints, en piqué dans les boulevards, formations serrées haut dans le ciel, jouent à cache-cache avec les cheminées, viennent s’enrouler dans nos sillons.
Dans les rues on se regarde, on se sourit, on trottine ou on galope, c’est selon, on salue les abeilles.

Sur une place, des chiens se sont réunis. Ils sont assis sur leur arrière-train, en cercle. Quelques jappements et en chœur se mettent à hurler à la lune. Nous qui sommes autour les rejoignons, et ceux qui sont autour encore nous rejoignent, et la ville s’hérisse, se gonfle d’un long hurlement. S’infiltrent partout nos souffles à plein poumon. 

A quelques kilomètres de là, Saïd est dans son champ. Il s’apprête à biner les carottes quand il sent que ça vibre sous ses pieds. C’est léger au début et ça s’amplifie. Interdit il regarde le sol, la terre meuble et les fanes qui frémissent. 
Il regarde autour de lui, lève le nez et l’air aussi tremble, l’horizon est comme flouté par une vague de chaleur, mais il ne fait pas chaud à ce point là. 

Flash spécial
« Alors que l’interdiction allait être levée dès demain,… » La voix se perd, trop compliqué de parler en courant. Trop essoufflé à essayer de suivre le flot, le journaliste laisse tomber son micro, la caméra tremblote le temps de le voir s’éloigner en sautillant gaiement, puis c’est un plan fixe sur la chaussée, fond gris, bande blanche de biais. Et des paires de pieds qui passent dans le champ. 

Martha s’est allongée, les jambes et les bras en étoile, elle sent sa cage thoracique contre le sol chaud et dur, son ventre qui se soulève pour reprendre de l’air, les yeux plantés dans le ciel, les cimes au loin ondulent. Dans son champ de vision périphérique, des bras, des mains, des pieds, des jambes, des jeans, des survet fluos, des mollets poilus, des chaussettes montantes, des pieds nus escarpins au bout des doigts, ça gambade. Elle n’a pas voulu s’arrêter, depuis le début elle court, elle a un peu adapté la cadence parfois mais c’est trop bon, non ne pas s’arrêter, non pas tout de suite, encore courir. Et maintenant elle est à bout de force. 
Elle ferme les yeux, inspire encore, sent ses omoplates contre le bitume granuleux, ses jambes qui se délassent.  
Et puis c’est au bout de son doigt, un contact infime. Une autre main, un autre corps s’est étendu là, un bout de doigt contre le sien. Etoiles sur un rivage de goudron. 

Dans une cour, une petite fille, sourire aux lèvres : 2+2 = 5
Serait-ce là que ça a commencé ?


Verdure

– Ça va ?
– Ça va.
– C’est calme aujourd’hui.
– C’est vrai.

– Tu crois qu’ils vont revenir ?
– Je sais pas. 
– Tu crois qu’il y en aura d’autres ? 
– Je sais pas, hier c’était musclé quand même l’évacuation. D’habitude, ils y vont mollo mais là c’était tendu, les gaz lacrymo quand même
– Faut dire qu’ils ne se sont pas laissés faire.
– Je les comprends, on est bien ici. 

– Bon c’est vrai que des fois c’était chiant, surtout leur musique là, tout le temps. Pas moyen de pousser en paix.
– Ah moi j’aimais bien, pas tout le temps, mais… Tu savais qu’il y a une plante qui danse ? 
– Tu racontes n’importe quoi.
– Si, si. Elle s’appelle Codariocalyx motorius, et elle a les folioles qui bougent dès qu’il y a de la musique. Et c’est pas une histoire de courant d’air provoqué par le chant ou le claquement de mains qui la fait bouger. C’est vraiment le son ! 
– Et comment tu le sais ?
– Bah je les écoute quand ils parlent ! Et ils disaient qu’apparemment, ils n’ont toujours pas compris pourquoi elle danse. Déjà Darwin, en 1882, il en avait vu. Mais ils en savent pas beaucoup plus. Ils se croient malins mais ça, ça reste un mystère… 

– J’aime bien ce moment de la journée. Y a juste un petit rayon de soleil qui vient me chauffer la chlorophylle du dessus et tout le reste est encore à l’ombre. J’aime bien cette sensation chaud-froid.  
– Je m’entrainais.
– A quoi ?
– Bah à danser ! T’imagine, j’aurai pu être la première ronce qui danse ! 
– Attend, tu veux dire que c’est toi là, qui me chatouillais les racines ? 
– Ah oui, désolé. 
– T’aurais pu prévenir, moi je commençais à m’inquiéter. Je comprenais pas, j’ai cru qu’il y avait un truc toxique dans leur pisse et qu’on allait y passer.
– T’es parano ! Certes, ils n’avaient pas une super hygiène de vie mais entre leurs barbecues et les produits de Robert dans le champ derrière…
– Et t’as réussi ?
– J’étais pas loin je pense. Mais c’est con, ils sont partis, je sais pas comment je vais faire maintenant. 

– Je pourrai peut être apprendre à chanter.
– Tu ferais ça ? 
– Je peux essayer.
– Et tu vas faire comment ?    
– Là tout de suite je sais pas trop, mais laisse moi réfléchir… 
– Si je peux me permettre (dit l’arbrisseau derrière), je les ai entendus parler de « bois de couille ».
– Pardon ?
– Y a une fille qui est passée un jour, vous vous souvenez pas ? Elle est restée assez longtemps à nous observer, elle a tâté quelques feuilles, soulevé un peu de terre. Elle était pas d’ici et il y a un type du camp qui est arrivé, qui lui a demandé ce qu’elle faisait là. Elle a expliqué qu’elle était botaniste et qu’elle aimait bien se promener par ici. Et je sais plus comment, ils en sont arrivés à parler de « bois de couille ».
– Et alors ?
– C’est une grande liane et les colibris viennent boire dans la fleur la nuit. Et pour les attirer, des écologues ont montré que Marcgravia umbellata – c’est son nom – envoie un signal acoustique multidirectionnel.
– Je te savais pas si érudit !
– J’ai bonne mémoire, j’ai retenu ce que disait la fille. Et donc, faudrait faire comme Marcgravia, envoyer un signal sonore, ça pourrait faire comme une chanson et tu pourrais continuer de t’entrainer à danser !
– Et quoi, on fait une comédie musicale à la fin ?   
– Je sais pas moi, j’essaie d’aider !  
– Et attends, attends, pourquoi « bois de couille » ? 
– La plante aurait des vertus en médecine traditionnelle pour soigner la syphilis et les tumeurs du scrotum. 
– Ok, bon ça c’est pas notre problème. Donc si je veux chanter pour que tu danses…
– Ou alors on demande aux mésanges ? 
–  Ah ouais et les rossignols aussi, on dirait qu’ils reviennent. J’ai l’impression qu’ils étaient partis à cause des produits de Robert dans le champ derrière, mais j’en ai vu quelques uns récemment. 
– Et puis c’est bientôt la période des grandes migrations, y a du monde qui va passer. Comme y a plus personne dans le camp, peut être que cette fois-ci, ils s’arrêteront pour nicher ici.
– C’est pas mal tout ça, on devrait y arriver ! 
– J’ai trop hâte !
– Ouais, moi aussi ! Tu m’as donné envie de chanter.  

– Et au fait, vous connaissez l’arbre fontaine?


Lydia

Je m’appelle Lydia, j’ai 12 ans. 
On a fait beaucoup de route, on a passé des frontières. Des fois on a eu faim, très faim. On a fini par arriver ici, on a eu faim encore parfois, mais on avait moins peur alors la faim était moins grosse. On savait pas trop ce qu’on allait faire. Je dis on, mais c’est surtout papa et maman. Avec mon frère, on devait surtout rester sage, ne pas sortir, ne pas se perdre, ne pas se faire prendre, ne pas crier, parfois on a pleuré quand même. Papa et maman aussi devaient rester sage, ne pas sortir, ne pas se perdre, ne pas se faire prendre, ne pas crier et ils ont pleuré aussi. On les écoutait parler. On n’a pas tout compris. Tuer. Viol. Menace. J’ai regardé les définitions quand on est arrivé ici. J’attends d’être plus grande pour comprendre. Pourquoi. Fuir. Survivre – c’est différent quand même de vivre. Maintenant ça va un peu mieux. Des fois c’est comme un jour normal. Hier on a rit, j’avais peur que ce soit trop fort et maman m’a dit ça va, ça va, on peut rire. Avant on habitait à Calais. Des fois on prenait le bateau pour aller de l’autre côté de la mer, voir des amis, il y avait une fête foraine où on allait souvent. On passait le weekend parfois et on rentrait pour aller à l’école. Quand on est parti, on a dû traverser une autre mer, c’était pas pareil. Le bateau était tout petit et on était trop nombreux. C’était la nuit. D’autres familles ont dû partir aussi, on est parti ensemble mais on n’a pas fait le même chemin. Je voulais retourner à la fête foraine avant de partir mais c’était pas possible. On n’a même pas pu aller à Arras dire au revoir à mamie. Il fallait faire vite. Parfois, maman me laissait regarder sur son téléphone et j’ouvrais la carte. Ça montrait où on était et j’agrandissais petit à petit, de plus en plus on voyait les forêts, les mers, les déserts et toutes les routes. Je refaisais le chemin depuis Calais. On voyait qu’on descendait en zigzag et puis qu’on a traversé les montagnes pour rentrer dans le continent. On pensait que c’était bon mais on a dû redescendre tout en bas de la carte là où il y avait la mer et le bateau trop petit. Il y a beaucoup de montagnes ici et il fait plus chaud qu’à Calais. Quand j’ai peur, je repense à la maison de Mickaël. Il vit ici et on a pu aller dans sa maison quand on est arrivé. Le temps de trouver une maison pour nous. Il y avait beaucoup de livres chez lui et aussi la photo d’une fête foraine. Et quand j’ai peur, j’y repense, ça me calme. Papa a dû repartir. On lui a dit qu’il ne pouvait pas rester ici. On lui a dit qu’il ne risquait rien, qu’il ne lui arriverait rien là bas. Mais les gens d’ici qui disaient ça ne connaissent pas là bas. On lui a dit tant pis s’il nous laisse ici et qu’il part tout seul. Il a voulu dire toute l’histoire, il l’avait déjà dite, mais il voulait bien la redire encore, il a montré les papiers, il avait peur de ne pas avoir bien la langue même s’il a appris, des amis d’ici ont voulu dire aussi mais on ne les a pas écoutés. On lui a dit non. Pourquoi. Alors il est parti et la peur est revenue. Quand il est arrivé, notre ancienne maison avait été volée. Tout était cassé. Beaucoup d’autres maisons aussi étaient abandonnées. Il n’a pas voulu aller voir mamie, il a eu peur. En fait, il n’arrivait même pas à savoir si elle était encore là. Il est resté caché dans la maison. A l’école, on a étudié l’histoire, celle d’ici et aussi des autres. Et c’est toujours pareil on dirait. Pas au même endroit, mais toujours, des gens ont dû partir. Et des fois ils pouvaient s’installer, des fois ils se sont battus, des fois ils ont dû repartir. C’est long l’histoire et ça refait presque toujours pareil : non. Pourquoi. Je repense à la fête foraine. Je repense à la mer. Je dois finir mes devoirs et aller aider maman. On ne sait pas si papa pourra revenir, si on se reverra. 
Pourquoi. Encore. Fuir. Pourquoi. Encore. Mourir ?
Et alors il faut aussi sauver la planète. Mais comment faire si on ne peut pas se sauver entre êtres humains. 
Des fois, je me sens comme une abeille.